lundi, février 24, 2020

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Caroline Fourest : « Cette jeunesse-là ne rêve que d'interdire »

ENTRETIEN. Dans « Génération offensée », l'essayiste s'inquiète que son camp, la gauche, cède à la victimisation, à la censure et à l'obsession identitaire.

 
Modifié le  - Publié le  | Le Point.fr
C'est le cri d'alarme d'une figure de la gauche qui ne reconnaît plus les combats des siens. Dans Génération offensée (Grasset), l'essayiste Caroline Fourest regrette que la jeunesse, inspirée par les campus américains comme par les réseaux sociaux, n'ambitionne plus que de censurer tout ce qui l'offense, là où celle de Mai 1968 rêvait d'un monde où il serait « interdit d'interdire ». L'affaire Mila vient encore de fournir un exemple de cette génération à l'épiderme fragile qui pense qu'insulter un dieu (et non pas des croyants), c'est « aller trop loin », « ça ne se fait pas ». Dans son livre, Caroline Fourest recense les dérives « d'une certaine gauche, moraliste et identitaire, qui n'a plus rien de libertaire ». Des accusations en « appropriation culturelle » pour de simples tresses aux « micro-agressions », les exemples ne manquent pas. Face à ces excès, cette progressiste n'en appelle pas à un retour au « bon vieux temps » où l'on pouvait insulter homosexuels et Arabes, mais supplie son camp politique de retrouver ses racines universalistes et libertaires. Car sinon, prévient-elle, c'est le plus sûr moyen de faire le jeu de tous les Trump de la planète. Entretien.
Le Point : Pourquoi cette génération serait-elle « offensée » ?
Caroline Fourest : J'aime cette génération, plutôt bienveillante et idéaliste. Mais, parfois, elle me surprend par ses emportements. Elle n'a pas mené de vraie guerre, ni connu l'apartheid, la ségrégation, ni le totalitarisme nazi, ni même gagné elle-même la dernière bataille pour le mariage pour tous. En dehors de la noble bataille pour le climat, l'essentiel de ses combats semble être de ferrailler pour des faits absolument futiles au nom de l'« appropriation culturelle ». Comme insulter des chanteuses pour des dreadlocks, des marques s'inspirant de motifs ethniques, attaquer des pièces de théâtre comme Les Suppliantes, refuser d'étudier des classiques contenant des scènes violentes, ou hurler parce qu'un menu à la cantine proposant un plat asiatique ne correspond pas exactement à la recette authentique… Au Canada, cela a pris des proportions folles. Une association d'étudiants a supprimé un cours de yoga pour handicapés pour ne pas « s'approprier » la culture indienne !
C'est le début du phénomène en France, mais, sincèrement, cela ira très vite.
Bien sûr, en partie. Les phénomènes de meute enragée pour cause « d'appropriation culturelle » sont favorisés par le mode de protestation des réseaux sociaux. Mais cette passion victimaire déborde dans la vraie vie, gagne la génération des milléniaux et l'université. Ce qui se passe sur les campus américains est réellement alarmant. Cette gauche victimaire et identitaire n'est pas du tout minoritaire aux États-Unis, au Canada, ni même en France. Ils sont même soutenus par de nombreux enseignants. Toute une génération de professeurs et de chercheurs issus des études décoloniales ou influencés par une approche anglo-saxonne accompagne cette dérive et se coopte. Les jeunes chercheurs universalistes ont de plus en plus de mal à trouver des postes. C'est le début du phénomène en France, mais, sincèrement, cela ira très vite. J'ai longtemps enseigné à Sciences Po, et quand on discute avec les élèves, on voit bien que l'identité religieuse occupe une place à part, et que l'idée de ne pas pouvoir parler de tous les sujets selon sa couleur de peau et son sexe se répand.
Vous donnez des exemples édifiants qui déchirent les campus américains
Le cas d'Evergreen est sans doute le plus effarant. On retrouve dans cette affaire tous les ingrédients qui peuvent expliquer le succès de Trump. Dans cette faculté d'arts libéraux de l'État de Washington, tout est parti d'un « jour de l'absence ». Une fois par an, les élèves noirs ne venaient pas sur le campus pour signifier ce que leur absence retirerait à la société. Pourquoi pas. Mais, en 2017, des étudiants ont voulu interdire aux Blancs de se rendre sur le campus… Bret Weinstein, un professeur de biologie de gauche, antiraciste et juif, s'est inquiété par mail du fait qu'on passe d'un boycott volontaire à une interdiction sur la base de la couleur de peau.
Pour ce simple mail, il a été pris à partie, violemment, par ses étudiants, qui demandaient sa démission, au point qu'on a dû faire appel à la police du campus. À cause de cette intervention, les élèves sont allés jusqu'à prendre en otages les enseignants et le chef d'établissement pour qu'ils demandent pardon. Il faut dire que ce proviseur a récolté ce qu'il avait semé. En début d'année, il avait commencé par obliger ses enseignants à s'humilier en se présentant par leur « race », les Blancs devant s'excuser de leurs privilèges et jurer de ne pas se laisser guider par leur « blanchité ». Cette affaire d'Evergreen a évidemment fait la joie de la droite américaine. C'est un cas extrême, mais il y en a beaucoup d'autres qui vont dans ce sens, où les professeurs qui tentent un peu de pédagogie sont licenciés. À Yale, on songe à supprimer le cours d'histoire de l'art parce qu'on l'accuse de véhiculer un « canon occidental idéalisé ». Voilà une génération qui, au lieu de diversifier les regards sur l'Histoire, de redécouvrir des artistes oubliés par la domination, préfère censurer. C'est l'inverse de Mai 1968, où il était interdit d'interdire. Cette jeunesse-là ne rêve que d'interdire.
Vous citez le cas de Madonna, qui avait déclenché la colère de la droite conservatrice en embrassant un Christ noir dans le clip « Like a Prayer » en 1989. Trente ans plus tard, elle est accusée d'appropriation culturelle pour avoir porté une tenue berbère lors d'une cérémonie de remise de prix sur MTV…
J'ai un souvenir vibrant de ce magnifique blasphème. Nous étions en 1989, l'année où les intégristes de tout bord s'en sont pris à Salman Rushdie, mais aussi à La Dernière Tentation du Christ de Scorsese sorti juste avant. Madonna prenait alors un vrai risque. Elle a violemment été attaquée par les ligues chrétiennes. Aujourd'hui, si elle fait polémique, c'est parce qu'elle met une tenue berbère lors d'un hommage – d'ailleurs raté – à Aretha Franklin ! Hier, Madonna était lynchée par la droite conservatrice. Aujourd'hui, elle l'est par une jeunesse gauchiste qui ne supporte pas qu'on emprunte la culture d'autrui pour lui rendre hommage. C'est confondre homme et pillage. Madonna a le cuir épais, elle tient bon. Mais d'autres cèdent, de manière parfois ridicule. Comme Katy Perry. La chanteuse a déclenché une polémique grotesque pour avoir posté une photo d'elle avec des tresses blondes, qui, au passage, font plus penser à la Khaleesi de Game of Thrones qu'à une coiffure afro. Mais comme les Dothrakis sont peu représentés dans la vie réelle, c'est la gauche victimaire américaine qui lui a fait ce procès en appropriation culturelle. Sa maison de disques lui a imposé une interview contrition franchement embarrassante avec un activiste de Black Lives Matter. La chanteuse y présente ses excuses comme s'il s'agissait d'un crime, qu'elle n'aurait pas dû porter ces tresses que « les femmes blanches » ne peuvent pas comprendre ! Elle promet de « s'éduquer ». On voit de plus en plus d'artistes américains s'excuser d'être blancs. Ils ne se rendent pas compte du nombre de voix qu'ils font gagner à Trump.
Tout ce que touche cette gauche victimaire, elle le transforme en charbon pour l'extrême droite.
Selon vous, identitaires de gauche et identitaires de droite s'alimentent. Pourquoi ?
Je viens des mouvements féministes, homos, et de l'antiracisme, mais justement, parce que je partage ces combats, j'ai passé ma vie à travailler sur l'extrême droite, et donc à examiner ce qui la fait monter. La gauche victimaire défend une vision identitaire de l'antiracisme et du féminisme totalement contre-productive. Si le but est de tout ramener à la couleur de peau, au sexe ou à la religion, tout en considérant que les Blancs sont racistes par nature, on ne risque pas d'avancer ni de convaincre, juste de renforcer les stéréotypes et de monter les identités les unes contre les autres. Penser que la couleur de peau ne permet pas de porter telle coiffure ou d'imaginer des œuvres contre le racisme, c'est le signe d'une assignation terrible. Certains vont jusqu'à rétablir une forme de croyance en une culture authentique, proche de la pureté ethnique. C'est très dangereux. La culture a toujours été un mélange. Elle doit le rester. Si l'on refuse l'emprunt culturel, on refuse le métissage. Tout en créant des polémiques absurdes qui ridiculisent l'antiracisme. On ne peut pas laisser ces combats, si importants, à cette gauche victimaire. Tout ce qu'elle touche, elle le transforme en charbon pour l'extrême droite.
En parlant d'assignation, vous citez la phrase de votre amie Tania de Montaigne : « Entre Michelle Obama et une migrante érythréenne, je ne sais pas ce qu'est une femme noire »…
Tania de Montaigne est l'une de ces voix essentielles qui portent un antiracisme aspirant à l'universel. L'un des déclics pour écrire ce livre vient de nos conversations. J'ai édité son livre Noire dans une collection que je codirige chez Grasset. Un hommage à Claudette Colvin, une héroïne oubliée de la lutte pour les droits civiques, l'une des premières femmes noires ayant refusé de céder son siège à un Blanc dans un bus, bien avant Rosa Parks. L'adaptation en BD a été faite par Émilie Plateau. Pour les ventes internationales, la responsable des achats ne voulait pas du titre Black. Elle craignait la polémique si on appelait cet album Noire, sachant que la dessinatrice était blanche. On n'allait quand même pas appeler Blanche un livre sur le racisme antinoir ! Ça nous a sidérées. Tania et moi sommes de cette génération de quarantenaires coincés entre des plus âgés qui avaient des préjugés et des plus jeunes qui s'enferment dans les clichés identitaires. Cette nouvelle génération est moins antiraciste ou féministe que victimaire et dégagiste. Ses éruptions visent davantage à faire tomber des têtes, à prendre des places, qu'à faire reculer en profondeur les préjugés. Comme si se plaindre permettait d'exister.
C'est, pour vous, l'autre aspect de cette « génération offensée », sa passion pour la victimisation ?
Nous vivons dans une société post-héroïque. Ce n'est plus le courage ou la virilité (et tant mieux) qui permet d'exister publiquement, mais le fait d'être victime. Ce qui est absolument nécessaire pour renverser la domination et libérer la parole, comme #MeToo que je soutiens totalement, tend parfois à infantiliser les minorités. Certains activistes ont tendance à s'enfermer dans ce statut de victime comme s'il s'agissait d'une identité. On assiste à une éclosion d'opportunistes qui se plaignent simplement parce qu'on leur a marché sur le pied. Cela demande beaucoup de courage de dire qu'on a été victime de viol ou de harcèlement. C'est héroïque pour moi. Cela n'a rien à voir avec ces enfants gâtés qui se croient victimes de tout et n'importe quoi. Ils ont l'épiderme si chatouilleux qu'ils osent profiter de cette lutte pour vouloir interdire des films, des pièces, des cours ou des œuvres d'art, sous prétexte d'être « blessés » ou offensés, exactement comme les intégristes. Parfois, ils vont jusqu'à attaquer physiquement tout conférencier ayant une autre vision du féminisme ou de l'antiracisme. Ils ne vont pas s'en prendre à Dieudonné, à Tariq Ramadan ou à des complotistes, régulièrement invités dans certaines universités, mais à des conférenciers universalistes ou à Charlie. À l'université de Lille, ils ont carrément déchiré les livres de François Hollande. Le livre programmatique de François Hollande ! On n'est quand même pas en train de parler de Mein Kampf…
Je suis fatiguée de voir des agresseurs sexuels présumés se comparer à Dreyfus, de Roman Polanski à Tariq Ramadan.
Comment voyez-vous la complexe affaire Polanksi, qui a encore rebondi avec les 12 nominations aux César pour J'accuse  ?
Je ne ferai jamais partie d'une manifestation demandant qu'on interdise ses films. Il ne s'agit pas de déresponsabiliser un homme parce qu'il est artiste, mais une œuvre a le droit d'être jugée pour elle-même. Un long-métrage sur le colonel Picquart et l'antisémitisme mérite d'être montré en France. En revanche, je suis choquée de voir que le nombre de femmes racontant avoir été agressées par Polanski – douze – n'a pas empêché des membres de l'Académie des César de voter pour lui en tant que réalisateur. Je serais embarrassée de le voir monter sur scène pour recevoir ce prix. Comme je suis fatiguée de voir des agresseurs sexuels présumés se comparer à Dreyfus, de Roman Polanski à Tariq Ramadan. L'affaire Matzneff est encore différente. Son œuvre, en soi, promeut la culture pédocriminelle. Cette œuvre pose donc question en elle-même.
Vous évoquez la multiplication des polémiques concernant des acteurs célèbres, comme Scarlett Johansson qui a dû renoncer à jouer un transsexuel. Un acteur doit-il aujourd'hui n'accepter que des rôles conformes à son identité ethnique, à son genre et à ses préférences sexuelles ?
Il y a effectivement cette demande grandissante de choisir des acteurs qui correspondent parfaitement au pedigree identitaire du personnage. De toutes les affaires folles que j'ai croisées en préparant ce livre, celle de Peter Dinklage est la plus sidérante. C'est la négation même du théâtre et du cinéma. L'acteur qui joue Tyron dans Game of Thrones devait interpréter un biopic sur Hervé Villechaize, un autre acteur de petite taille célèbre pour ses rôles dans L'Île fantastique ou James Bond. On se souvient de lui en costume blanc avec une coupe au bol. Du moment où il a annoncé ce projet, Dinklage s'est vu accusé d'appropriation culturelle, parce qu'il est américain et que des internautes ont cru que Villechaize était philippin ! En réalité, Villechaize était d'origine française. C'était un ami de Dinklage. Si le cinéma, c'est faire jouer un acteur de petite taille philippin par un autre acteur de petite taille philippin, autant faire de la télé-réalité. Je crains d'ailleurs qu'au final on ne dissuade des producteurs et réalisateurs de faire des films sur les minorités, à l'image de Girl qui a été vilipendé par certains transsexuels, ou de Detroit de Kathryn Bigelow à qui l'on a reproché d'être blanche alors qu'elle a signé un film magnifique sur les émeutes contre le racisme.
En 2016, vous avez donné des cours sur la laïcité et Charlie Hebdo dans des universités américaines prestigieuses comme Duke. Qu'avez-vous retenu de l'expérience ?
C'était un contexte particulier, juste après l'élection de Trump. Les élèves ont fait preuve de beaucoup de compassion pour les victimes des attentats de Charlie et de Paris. En revanche, dès qu'on a abordé le droit au « blasphème », la laïcité ou le voile, c'est devenu beaucoup plus compliqué. Une élève de tendance indigéniste – qui représente la pensée lambda de la gauche américaine – m'a dit : « Madame, vous ne pouvez pas parler du voile parce que c'est le symbole de la culture musulmane et que vous êtes blanche.  » Je l'ai vivement remerciée pour cette question, qui résumait toute la confusion que j'étais venue démêler, et j'ai entrepris de déconstruire cette série d'amalgames. D'abord, le voile n'est pas le symbole de la culture musulmane. Des musulmanes le portent et d'autres se battent au péril de leur vie pour ne pas le porter. Considérer que le voile symbolise la culture musulmane revient à les exclure de cette culture au profit des plus traditionalistes et des intégristes. Ensuite, si on ne devait aborder la question du sexisme qu'en fonction de sa couleur de peau, il n'existe plus de front commun possible pour les droits des femmes. J'avais face à moi des élèves qui n'osaient plus penser et parler des sujets concernant leur identité. J'ai dédramatisé la situation en leur disant : «  Je suis française. Ma culture, c'est d'offenser. On y va ? » Au début, ils étaient terrifiés. À la fin, tout le monde voulait assister au cours. J'ai vu les corps se détendre, les mâchoires se relâcher et les langues se délier. Il suffisait de lever la terreur. Des professeurs, très émus, m'ont dit : « Tu as pu soulever des questions qu'on n'ose plus aborder depuis des années.  »
Comment l'université est-elle devenue le terrain privilégié de ce que le psychologue américain Jonathan Haidt appelle « la culture de l'offense » ?
Cette génération vit sous la peur du jugement dernier des réseaux sociaux. Elle a intégré que chaque parole qui déborde peut lui valoir une chasse en meute, comme ce qui est arrivé à Mila. En dehors de quelques courageux, cela génère deux attitudes : l'autocensure ou la tentation de hurler avec les loups. Quand on parle avec des étudiants en privé, on voit bien qu'ils ne pensent pas tous pareil. Mais ils n'osent pas aller contre ceux qu'ils savent capables de hurler. C'est valable dans la vie virtuelle comme dans la vie réelle.
Aux États-Unis, une étudiante lesbienne m'a raconté avoir été expulsée de son dortoir à la demande d'une étudiante trans qui l'accusait de « l'insécuriser », juste parce qu'elle s'était demandé à haute voix si dix ans n'était pas trop jeune pour changer de sexe. L'expression d'une opinion contraire est vécue comme une agression physique ! Même si une petite minorité lance à tort des anathèmes, elle va vite emporter l'adhésion du fait du silence des autres élèves, mais aussi de celui de l'administration scolaire, qui ne veut pas de problèmes et ferait tout pour acheter la paix scolaire.
La gauche radicale, dont une frange s'opposait un temps au NPA sur la question de la laïcité, a été emportée par la dérive personnelle de Mélenchon.
En quoi votre critique « progressiste » de cette gauche identitaire se distingue-t-elle de celle de la droite conservatrice sur la « tyrannie des minorités » ?
Les conservateurs ne critiquent le politiquement correct que pour mieux restaurer un vocabulaire décomplexé sur les minorités, la norme d'antan et la domination culturelle. C'est le but des trumpistes et de cette droite identitaire allergique au féminisme et à l'antiracisme. Moi, je ne veux surtout pas revenir en arrière ! Mais, au contraire, qu'on progresse vers l'égalité réelle, qu'on déconstruise les préjugés et les stéréotypes, qu'on brise les plafonds de verre. Je ne veux surtout pas qu'on cesse de s'interroger sur l'absolution dont bénéficient certains artistes agresseurs, ni sur la stigmatisation des minorités ethniques, ni sur l'invisibilisation des femmes. Il faut continuer ce travail, mais en ajoutant d'autres voix et d'autres regards, pas en censurant des œuvres et d'autres paroles. Très souvent, les artistes ou les conférenciers que cette gauche identitaire attaque sont antiracistes pour de bon, mais de façon plus libertaire et plus universaliste. La gauche universaliste se trouve cernée de tous les côtés. Elle est prise en tenaille par la droite et la gauche identitaire, qui s'entendent pour prospérer. Depuis 2004, bien avant ceux qui crient très fort à présent, je dénonce la tentation du déni à gauche sur des sujets comme l'islamisme. Mais je n'ai jamais nié qu'il existe une autre gauche qui résiste ! Aujourd'hui, on essaye de nous faire croire que la droite identitaire serait la seule à avoir du courage. Elle est loin d'être Mila. Elle se sert juste de nos alertes, de nos vigilances, pour tenter d'imposer une vision régressive et dominante de l'identité. La gauche universaliste doit lui barrer la route.
Mais qui, aujourd'hui, représente politiquement cette gauche universaliste ?
C'est bien le problème. Cette gauche est vivante dans la société, présente sur les réseaux sociaux, mais elle n'a plus d'incarnation politique en dehors du Parti radical de gauche. Le PS est moribond. La gauche modérée a été annexée par Macron. La gauche radicale, dont une frange s'opposait un temps au NPA sur la question de la laïcité, a été emportée par la dérive personnelle de Mélenchon. Les hommes politiques portent la lourde responsabilité de ce champ de ruines. Pourtant, celui qui saura capter le cœur universaliste, qui bat si fort dans ce pays, sera sans doute celui qui ressuscitera l'espoir politique.
Génération offensée, de Caroline Fourest (Grasset, 220 p., 18 €). Publication le 26 février.

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