lundi, février 24, 2020

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L'exécutif s'apprête à dégainer cet outil pour mettre fin au débat sur les retraites. La faute à qui ?
Le président de l'Assemblée, Richard Ferrand, pourra-t-il mener les débats jusqu'à leur terme ?

















Le président de l'Assemblée, Richard Ferrand, pourra-t-il mener les débats jusqu'à leur terme ?  Crédits : Geoffroy van der Hasselt - AFP
Quand le visage de François Fillon apparaîtra, à l'ouverture de son procès, y aura-t-il une partie de la gauche pour éprouver un peu de nostalgie ? 
Un souvenir ému pour l'époque du gouvernement Fillon - cette époque où une réforme des retraites était débattue jusqu'à son terme, sans usage du 49.3 ? 
Oui, car en 2010, la refonte des retraites avait été votée par le parlement. Sans recours à l'article 49 alinéa 3, qui permet d'adopter un texte sans vote - ce que s'apprête à faire l'exécutif actuel, selon plusieurs sources au sein de la majorité. 
Allez, on ne poussera pas ce matin la provocation jusqu'à suggérer que la gauche va bientôt regretter le temps béni du dialogue démocratique sous Nicolas Sarkozy, mais enfin l'utilisation du 49.3 qui se prépare est tout sauf neutre. 

Test de paternité

Bien sûr, le nombre d'amendements déposés par l'opposition donne la berlue : 41 000, dont moins de 5000 ont été examinés la semaine dernière à l'Assemblée. La majorité macroniste a raison de dire qu'à ce rythme, il faudrait plusieurs mois, week-ends compris, pour en voir le bout. 
Il est vrai, de même, que cette chorégraphie des amendements verse parfois dans le ridicule... Évoquons par exemple le sous-amendement n°42160, examiné hier. Il vise à remplacer, dans le texte de loi, le terme « annuelle » par les mots « chaque année ». 
Voilà de quoi bouleverser la philosophie générale du projet ! Une trouvaille qui s'apparente moins au concours Lépine qu'au concours de lenteur. 
Cela dit, d'autres propositions de l'opposition sont plus constructives ; un amendement communiste adopté hier à l'Assemblée prévoit de prendre en compte les "gains de productivité" de l'économie française pour piloter le futur système des retraites. 
Mais jusqu'ici, ces instants de co-construction législatives sont rares, pour ne pas dire exceptionnels. 
Voilà pourquoi le gouvernement, qui veut faire adopter sa réforme avant les municipales, compte dégainer le 49.3.
Et dans les prochains jours, vous verrez la majorité et l'opposition se renvoyer la responsabilité de ce 49.3. Vous allez assister, en quelque sorte, à un test de paternité médiatique : qui a enfanté cette situation ? 
Le 49.3 ? "C'est à cause de l'obstruction nihiliste de la gauche", dira le gouvernement. Autrement dit, il y aurait les "obstructeurs" et les "constructeurs". 
Le 49.3 ? "C'est à cause de l'empressement autoritaire du gouvernement", dira la gauche. Autrement dit, il y aurait les "pressés" et les "oppressés". 
Et cela constituera une sorte de duopole : insoumis contre macroniste. Un duel auquel les deux partis ont intérêt, et qui éclipse les propositions de fond réalisées sur tous les bancs, Parti socialiste et Les Républicains inclus. 
Ce combat des mots pour se rejeter la culpabilité n'est pas surprenant, car le 49.3 est un outil risqué. 
Il marque celui qui l'utilise du sceau de la faiblesse et de l'autoritarisme, l'un allant souvent avec l'autre. 
D'ailleurs, ceux qui en ont fait l'usage l'ont parfois regretté, à l'image de Manuel Valls. Juste après avoir quitté Matignon, voici la promesse qu'il adressait aux électeurs :
"Je connais parfaitement les effets pervers du 49.3, je suis lucide et puis j’ai appris, et puis on prend du recul (…). Son utilisation est dépassée et apparaît comme brutale. (…) Je proposerai de supprimer purement et simplement le 49.3". (sur France Inter)
Et la scène politique compte un autre grand opposant au 49.3. Un certain Emmanuel Macron. Très fâché, quand il était ministre de l'Economie en 2015, que cette procédure ait été employée pour faire adopter sa loi Macron : il l'avait vécu comme un échec, lui qui pensait avoir convaincu une partie des frondeurs au sein de la majorité socialiste. 
N'y a-t-il pas une banalisation de ce 49.3 ?  
Avant-hier, on l'utilisait quand la majorité était introuvable (Rocard, 1988).
Hier, on le dégainait quand la majorité était incertaine (Loi Macron, 2015). 
Désormais, on le déclenche quand la majorité est pléthorique mais que le débat est jugé trop long. 
Au moindre malaise dans l'Assemblée, le voici brandi. 
Ce qui était un instrument de dernier recours est devenu le geste des premiers secours, au chevet d'une politique qui veut aller toujours plus vite.
Frédéric Says

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