mardi, mai 12, 2020




Lettre à Juliette Binoche et à Robert de Niro (Par Jean-Paul Pelras)
 12 mai 2020 E-site66agri11 3718 Views 
Madame, Monsieur,
jusqu’à la semaine dernière, je vous aimais bien. Je veux dire par là que j’appréciais vos prestations cinématographiques. Celles qui nous font rêver et transmettent un message que nous sommes libres d’interpréter à notre façon. Seulement voilà, avec 200 artistes et scientifiques, vous venez de cosigner une tribune publiée dans Le Monde où vous croyez savoir ce qui est bien pour nous.
Un peu comme si nous n’étions pas suffisamment qualifiés pour exprimer nos opinions. Un peu comme si nous avions besoin de vous pour analyser la situation. Vous parlez de catastrophe écologique, vous dites que le consumérisme nous a conduit à nier la vie en elle-même. Vous rajoutez que, pour ces raisons, jointes aux inégalités sociales toujours croissantes, il vous semble inenvisageable de “revenir à la normale”. Comment osez-vous parler d’inégalités sociales quand vous êtes 200 privilégiés allant d’Isabelle Adjani à Marion Cotillard en passant par Madonna, Cate Blanchett, Penelope Cruz, Lambert Wilson, Nicolas Hulot, Vanessa Paradis, Lavilliers, Trintignant, Cluzet ou encore Christian Louboutin, fabricant de pompes dont le prix peut atteindre 6 000 euros, à vivre dans l’entre-soi d’une société hors-sol ?
Vous vous sentez obligés d’appeler solennellement “les citoyens à s’extraire de la logique intenable qui prévaut encore, pour travailler enfin à une refonte profonde des objectifs, des valeurs et des économies.” Nous pouvons comprendre que, n’ayant pu participer cette année au Festival de Cannes, il vous fallait trouver, du côté des consciences cette fois-ci, d’autres marches à gravir. Alors, tant qu’à suggérer un acte de contrition, commencez par faire preuve d’humilité en relisant votre propre message. Car savez-vous seulement combien de centaines de fois vous avez fait le tour de la terre à bord d’un aéroplane pour satisfaire vos caprices où promouvoir vos activités ? Savez-vous que vous vous adressez à des gens qui doivent économiser toute une année pour se payer un week-end à Rocamadour ou une petite semaine, dans un 2 pièces sur l’île de Ré ? Alors que vous passez votre vie à descendre dans des palaces avec des rémunérations à l’année qui représentent ce que certains mettent plusieurs vies à gagner.
Votre tribune est dégoulinante de mépris et de condescendance envers celles et ceux qui, loin du prisme des médias, n’ont aucune leçon à recevoir. Tout simplement car leur quotidien n’est déformé par aucune comédie, car leur vie n’est pas une représentation, car il n’ont ni les moyens, ni le temps d’idéaliser. Enfin, parce que si vous n’êtes plus tout à fait au monde, la plupart de ceux à qui vous vous adressez ont fait de “la normale” leur résidence principale depuis qu’ils s’y sont installés.
Alors de grâce, retournez à vos occupations et ne vous considérez surtout plus comme étant indispensables au débat sociétal, en nous appelant à “la dignité et à la cohérence”. Car si la réalité dépasse bien souvent la fiction, votre suffisance, ici, dépasse de loin l’affliction.
Jean-Paul Pelras