Lettre à Juliette Binoche et à Robert de Niro (Par Jean-Paul
Pelras)
12 mai 2020
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Madame, Monsieur,
jusqu’à la semaine dernière, je vous aimais bien. Je veux
dire par là que j’appréciais vos prestations cinématographiques. Celles qui
nous font rêver et transmettent un message que nous sommes libres d’interpréter
à notre façon. Seulement voilà, avec 200 artistes et scientifiques, vous venez
de cosigner une tribune publiée dans Le Monde où vous croyez savoir ce qui est
bien pour nous.
Un peu comme si nous n’étions pas suffisamment qualifiés
pour exprimer nos opinions. Un peu comme si nous avions besoin de vous pour
analyser la situation. Vous parlez de catastrophe écologique, vous dites que le
consumérisme nous a conduit à nier la vie en elle-même. Vous rajoutez que, pour
ces raisons, jointes aux inégalités sociales toujours croissantes, il vous
semble inenvisageable de “revenir à la normale”. Comment osez-vous parler
d’inégalités sociales quand vous êtes 200 privilégiés allant d’Isabelle Adjani
à Marion Cotillard en passant par Madonna, Cate Blanchett, Penelope Cruz,
Lambert Wilson, Nicolas Hulot, Vanessa Paradis, Lavilliers, Trintignant, Cluzet
ou encore Christian Louboutin, fabricant de pompes dont le prix peut atteindre
6 000 euros, à vivre dans l’entre-soi d’une société hors-sol ?
Vous vous sentez obligés d’appeler solennellement “les
citoyens à s’extraire de la logique intenable qui prévaut encore, pour
travailler enfin à une refonte profonde des objectifs, des valeurs et des
économies.” Nous pouvons comprendre que, n’ayant pu participer cette année au
Festival de Cannes, il vous fallait trouver, du côté des consciences cette
fois-ci, d’autres marches à gravir. Alors, tant qu’à suggérer un acte de
contrition, commencez par faire preuve d’humilité en relisant votre propre
message. Car savez-vous seulement combien de centaines de fois vous avez fait
le tour de la terre à bord d’un aéroplane pour satisfaire vos caprices où
promouvoir vos activités ? Savez-vous que vous vous adressez à des gens qui
doivent économiser toute une année pour se payer un week-end à Rocamadour ou
une petite semaine, dans un 2 pièces sur l’île de Ré ? Alors que vous passez
votre vie à descendre dans des palaces avec des rémunérations à l’année qui
représentent ce que certains mettent plusieurs vies à gagner.
Votre tribune est dégoulinante de mépris et de
condescendance envers celles et ceux qui, loin du prisme des médias, n’ont
aucune leçon à recevoir. Tout simplement car leur quotidien n’est déformé par
aucune comédie, car leur vie n’est pas une représentation, car il n’ont ni les
moyens, ni le temps d’idéaliser. Enfin, parce que si vous n’êtes plus tout à
fait au monde, la plupart de ceux à qui vous vous adressez ont fait de “la
normale” leur résidence principale depuis qu’ils s’y sont installés.
Alors de grâce, retournez à vos occupations et ne vous
considérez surtout plus comme étant indispensables au débat sociétal, en nous
appelant à “la dignité et à la cohérence”. Car si la réalité dépasse bien
souvent la fiction, votre suffisance, ici, dépasse de loin l’affliction.
Jean-Paul Pelras