En français, il existe un mot bien pratique, que l’on croise souvent dans les albums d’Astérix : la zizanie*, qui définit un désaccord ou une dispute générale, une querelle où tout le monde s’enguirlande. Il n’est pas étonnant que les Français aient inventé ce mot. En France, le travail d’équipe n’est pas un réflexe naturel. Pas plus que l’union nationale.
Pourtant, la France était entrée dans le confinement lié au Covid-19 avec un calme relatif. C’est le retour progressif à une vie normale tel qu’il est proposé par le gouvernement à compter du 11 mai qui a “semé la zizanie*” ­ – autrement dit, qui a incité tout le monde à se mettre à crier en même temps, faisant passer des inquiétudes compréhensibles ou des calculs politiques mesquins avant l’intérêt général en temps de crise.

Une communication qui patauge

La faute en revient en partie au gouvernement d’Emmanuel Macron et Édouard Philippe. Sa campagne de communication, plutôt adéquate au début de l’épidémie, patauge depuis quelques jours. Or, les partis d’opposition, de l’extrême droite au centre droit et à la gauche, ont une tendance à jouer les mouches du coche en s’improvisant épidémiologistes, ce qui a quelque chose de profondément déplaisant.
Sans parler de l’attitude déprimante de certains salariés du métro et des chemins de fer et de certains enseignants (pas tous, certes), qui, récalcitrants, menacent de ne pas reprendre leurs postes [à partir du 11 mai]. Où serait la France si les médecins, le personnel soignant et des maisons de retraite, les employés des entrepôts et des supermarchés, les éboueurs, les chauffeurs routiers – et ces enseignants qui n’ont jamais cessé de faire cours – avaient refusé de prendre le risque de sortir de chez eux ces deux derniers mois ?

Confusion et défiance

La chambre haute du Parlement, le Sénat, qui s’était montré hostile au confinement du 17 mars, a voté de justesse contre l’assouplissement progressif de ce même confinement à partir du 11 mai. Ou plutôt, la majorité du principal parti au Sénat, les Républicains (LR), de centre droit, n’a pas su exprimer son opinion sur la question la plus importante à laquelle est confrontée la nation. Ils se sont abstenus. Quel courage* !
Même si cela s’est joué à peu de chose, ce sont les votes du centre gauche et de l’extrême gauche qui ont abouti au rejet du projet du gouvernement, qui prévoit de mettre en place un déconfinement à deux vitesses en divisant le pays entre les départements “verts” (où l’épidémie reste faible) et “rouges” (où le virus est actif). Sur le plan pratique, ce vote a un effet pour ainsi dire nul. Le débat sénatorial était purement symbolique. Le projet avait déjà été approuvé par la chambre basse, l’Assemblée nationale. Son effet, s’il est également symbolique, a été plus grave. Le refus du Sénat a accru le sentiment grandissant de confusion et de défiance vis-à-vis du gouvernement français, un sentiment selon moi injustifié et dangereux.

Une lassitude croissante

Au début, Macron et Philippe ont pu compter sur un large soutien de la population, mais c’est fini. [Dans un récent sondage], 65 % des personnes interrogées disent douter que le gouvernement puisse permettre au pays de sortir efficacement de la crise du Covid-19. Dans le même temps, il est évident que le confinement suscite une lassitude croissante. Routes et rues recommencent à bruire d’activité. Les gens craignent de quitter le sanctuaire de leur foyer. Mais ils tiennent aussi à reprendre le cours de leur vie.
L’économie française a été placée en coma artificiel pendant [huit] semaines. Une situation qui ne saurait perdurer, sous peine de détruire des dizaines de milliers d’emplois et de paralyser le pays pendant des années. Beaucoup d’enfants, souvent ceux qui ont des difficultés en classe, ne se sont pas connectés aux cours en ligne, qui, en dehors de cela, ont connu un franc succès.

Des succès, tout de même

Dans son discours au Sénat, le Premier ministre Édouard Philippe a évoqué sans détour et en détail ces risques concurrents et ces choix dangereux. De mon point de vue, bien qu’il soit fréquemment l’objet des railleries des commentateurs français, Philippe a été un modèle de calme et de bon sens pendant la crise du Covid.
Impressionnants, les résultats du gouvernement français ? Non, pas dans tous les domaines. Il a fait preuve d’une lenteur coupable quand il s’est agi de comprendre à quel point il était important de procéder à des tests. Il y a quelques semaines, il ne s’est pas montré des plus francs quant à la pénurie de masques – un problème aujourd’hui réglé.
Mais prenons également en compte ses succès (ce dont semblent absolument incapables les politiciens de l’opposition et une grande partie des médias du pays). La France devrait atteindre un total définitif d’environ 40 000 morts (soit à peu près autant que les victimes d’une grande épidémie de grippe en 1969). Sans le confinement, on aurait pu recenser 60 000 morts de plus. Le système hospitalier français a tremblé, mais il n’a jamais été submergé. Les chiffres des décès liés au Covid, annoncés chaque soir, sont aussi exhaustifs et honnêtes que possible, à en juger par les statistiques officielles sur “l’ensemble des décès”. Le programme d’aide économique aux entreprises et aux personnes, immédiatement mis en œuvre à la mi-mars, est le plus généreux au monde.

Seront-ils remerciés ?

Sur le moment, rares sont les commentateurs et les politiciens de gauche qui ont salué cette réaction. Et maintenant, certains, apparemment, considèrent que ces mesures font partie des “acquis sociaux*”, et qu’elles devraient être maintenues indéfiniment. La mortalité est importante en France, comparée à l’Allemagne, ou au Portugal et à la Hongrie, et elle obsède les médias et l’opposition, ce qui peut se comprendre.
C’est vrai, les plans de “déconfinement*” du gouvernement sont complexes et ils prêtent à confusion. Mais le virus aussi. Espérons que Philippe et Macron aient élaboré leur projet avec à peu près autant d’efficacité que celle dont ils ont fait preuve depuis la mi-mars, non sans quelques hésitations, quelques hoquets et échecs au départ.
S’ils se sont trompés, bien des voix se feront entendre pour le leur reprocher. Si la France redevient lentement elle-même, sans une seconde vague épidémique, c’est à eux qu’en reviendra l’immense mérite.
En seront-ils remerciés pour autant ? Sûrement pas.