Même pendant la crise du Covid-19, les rumeurs politiques ont la vie
dure Remaniement, dissolution de l'Assemblée nationale, démission
présidentielle: les médias bruissent, sauf qu'Emmanuel Macron devra sans doute
inventer autre chose de tout à fait nouveau.
Adresse d'Emmanuel Macron aux Français·es, le 13 avril 2020. | Martin
Bureau / AFP
déformés
Patronymes jetés en pâtureatique, on a jeté quelques patronymes
Stéphane Le Foll et Manuel Valls, pas si ministrables. | Martin Bureau / AFP
Socle électoral stable
Filtre des «conseillers»
Scénarios improbables
Édouard Philippe et Emmanuel Macron, duo dynamique. | Ludovic Marin /
POOL / AFP
Système inclusif
Olivier Biffaud — 20 avril 2020 à 7h55
En ces temps de crise sanitaire, les réflexes politiques ne
disparaissent pas. Certain·es s'en désolent, d'autres s'en réjouissent. Que
l'on penche pour l'un ou l'autre de ces deux sentiments, cela montre quand même
que la démocratie est toujours vivante.
En l'espace de quelques jours, comme s'il fallait se donner un peu
d'air pour se changer des idées morbides que véhicule ce fichu virus, des
médias se sont fait l'écho de scénarios pour «le jour d'après».
Selon un processus bien connu dans la presse, les «révélations» de l'un
ont été reprises par d'autres, qui n'avaient pas eu le bonheur d'être dans le
circuit des fuites, des fantasmes ou des inventions journalistiques –au choix.
Il faut bien combler les vides. Comme le Covid-19 occupe tout l'espace
de l'information, ce qui est présenté comme un tuyau politique prend des
proportions démesurées et permet d'alimenter la chronique pendant un petit
moment. Au risque de brasser de l'air dans le néant, sans prendre le moindre
recul.
Il a suffi d'une phrase un peu énigmatique d'Emmanuel Macron dans sa troisième
adresse télévisée aux Français·es en un mois, le 13 avril (36,7 millions de
téléspectateurs et téléspectatrices), pour que la machine se mette en route.
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Strauss-Kahn
Qu'a donc dit le président de la République, sans doute à dessein, pour
enclencher le processus? «Il y a dans cette crise une chance: nous ressouder et
prouver notre humanité, bâtir un autre projet dans la concorde. Un projet
français, une raison de vivre ensemble profonde. Dans les prochaines semaines,
avec toutes les composantes de notre nation, je tâcherai de dessiner ce chemin
qui rend cela possible.»
Quitte à tordre un peu les propos du chef de l'État, «bâtir un autre
projet dans la concorde» est devenu chez certain·es journalistes «former un
gouvernement de concorde» ou, plus précis encore, «un gouvernement d'union
nationale».
Peu importe que Macron n'ait pas utilisé ces formules. D'aucuns
estimaient qu'ils étaient en droit de lui en attribuer l'esprit, sans
barguigner de passer de l'esprit à la lettre.
Ce tour de magie était d'autant plus réalisable qu'un peu plus loin,
dans son allocution, le président précisait: «Dans les prochaines semaines,
avec toutes les composantes de notre nation, je tâcherai de dessiner ce chemin
qui rend cela possible.» C'était bien la preuve qu'il concoctait un truc.
Pour faire bonne mesure, il s'agissait de donner encore plus de
consistance à ce que Macron n'avait pas dit; il fallait remplir les cases et
trouver les noms de celles et ceux qui allaient être appelés à incarner la
«concorde», voire l'«union nationale».
Pour satisfaire l'appétit de l'ogre ministrables en pâture. On a évoqué les noms de Nathalie
Kosciusko-Morizet (NKM), de Michel Barnier, de Stéphane Le Foll, de Jean-Pierre
Chevènement et de Manuel Valls.
Toutes ces personnalités ont occupé, dans un passé proche mais aussi
parfois très lointain, des fonctions gouvernementales. La première a été
ministre de l'Écologie de Nicolas Sarkozy, le dernier a été Premier ministre et
ministre de l'Intérieur de François Hollande, pendant que Le Foll était son
ministre de l'Agriculture.
Barnier, qui s'occupe des relations post-Brexit de l'Union européenne
avec le Royaume-Uni, a exercé sous Sarkozy, Jacques Chirac et même en fin de
règne de François Mitterrand.
Chevènement, pour sa part, a été ministre de Mitterrand dès 1981, puis
à nouveau pendant la présidence Chirac, après la dissolution ratée de 1997.
Longtemps représentant de l'aile gauche du Parti socialiste, il a la
particularité assez rare d'avoir démissionné trois fois du gouvernement –autant
dire qu'il faut réfléchir avant de l'y faire entrer.
Toutes ces personnalités pourraient occuper un poste ministériel, mais
il se trouve qu'aucune d'entre elles n'est vraiment représentative de la
«concorde» ou de l'«union nationale».
NKM ne paie plus depuis belle lurette ses cotisations au parti Les
Républicains, dont une bonne partie des membres la déteste cordialement.
Le Foll, dont l'ADN hollandais a pris un sérieux coup, est un électron
tellement libre au sein du PS qu'on a un peu de mal à le voir représenter ses
camarades sociaux-démocrates.
Quant à Valls, ce n'est plus de la détestation qu'il suscite chez
beaucoup de militant·es socialistes mais un véritable rejet, voire une haine
tenace. Faut-il préciser que Le Foll et Valls ont déjà fait savoir, chacun à
leur manière, qu'une telle hypothèse ministérielle n'entrait pas dans leur plan
de carrière immédiat.
Toutes ces hypothèses, pour attrayantes et chatoyantes qu'elles soient
sur le plan médiatique, n'entrent pas dans le cadre d'une refondation politique
à proprement parler.
Elles peuvent tout à fait satisfaire des ambitions individuelles
parfaitement légitimes, mais sûrement pas faire bouger les lignes politiques
comme la composition du gouvernement post-élection présidentielle de 2017 y
était parvenue.
Il ne faut, en effet, pas s'y tromper: la victoire inattendue de Macron
a provoqué un véritable séisme sur l'échiquier politique, dont les répliques
successives se font encore sentir à droite et à gauche, trois ans après sa
survenance.
Ce phénomène politique, dont quelques prévisionnistes avaient annoncé
la disparition rapide –et continuent d'ailleurs à le faire–, s'est installé
dans l'électorat mitoyen de l'axe central que représente le macronisme.
Il suffit pour le constater, à défaut de s'en convaincre, d'examiner
les sondages qui, imperturbablement, donnent les mêmes indications depuis des
mois et des mois.
Hors La France insoumise (gauche de la gauche) et le Rassemblement
national (extrême droite), un tiers à la moitié des sympathisant·es de droite (Les
Républicains) et de gauche (Parti socialiste), selon les enquêtes d'opinion et
les items, ne sont pas dans une opposition frontale à l'exécutif. La vérité des
chiffres, c'est que le socle du chef de l'État reste assez stable.
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Que penser, au vu de ces constatations, des autres hypothèses émises
dans les médias, qui citent pêle-mêle –c'est de bonne guerre, si l'on peut
dire– des «conseillers», des «amis», des «proches», des «visiteurs du soir» ou
les «entourages», soit de Macron, soit d'un·e ministre dont on a rarement la
chance de connaître l'identité?
Le phénomène n'est pas nouveau, et on est tenté de dire qu'il est
normal, puisque l'ensemble des professionnel·les de l'information vont à la
pêche auprès de leurs contacts ou de leurs sources.
En même temps, comme dirait l'autre, les citoyen·nes sont en droit
d'attendre un minimum de recul et d'analyse de la part de ces mêmes
professionnel·les, afin de décrypter et de contextualiser.
Ces autres hypothèses qu'on lit ou qu'on entend, ici ou là, pour le
«jour d'après» sont donc la dissolution de l'Assemblée nationale voire, plus
exotique encore, une élection présidentielle anticipée provoquée par le
locataire de l'Élysée lui-même. Excusez du peu!
Notons d'abord qu'il est extrêmement rare qu'on tienne ces bons tuyaux
de la bouche du cheval lui-même. Et dans les deux cas mentionnés ci-dessus, le
cheval, c'est le président de la République.
Les infos en question passent par les fameux filtres des «conseillers»,
des «amis», etc., quand elles ne répercutent pas tout bonnement les
suggestions, les désirs ou les fantasmes des dits intermédiaires.
Il en va ainsi du «remaniement gouvernemental profond» qui est annoncé.
Du reste, à force de l'annoncer avec la régularité d'un métronome, les
météorologistes patenté·es finissent par avoir raison un jour ou l'autre –d'où
les «comme nous l'annoncions», les «c'était prévisible» et les «on l'avait bien
dit».
Les journalistes prédisant le changement de Premier ministre car le
bruit courait qu'il y avait du tirage entre l'Élysée et Matignon devraient
prêter plus d'attention à la répartition des rôles entre Macron et le chef du
gouvernement.
Non seulement Édouard Philippe s'occupe de l'intendance, et on pense ce
qu'on veut de la politique qu'il met en œuvre mais l'homme s'en tire plutôt
avec brio, mais il est un paratonnerre pour le président de la République –et
il en est ainsi depuis mai 2017.
À l'évidence, les deux hommes ont tout intérêt à fonctionner ensemble
le plus longtemps possible. Pendant tout le quinquennat, peut-être. L'annonce
de son départ imminent est d'abord le fait de celles et ceux qui le souhaitent,
à droite chez LR ou à La République en marche elle-même.
Quant à une dissolution de l'Assemblée, arme atomique du chef de
l'État, l'intérêt en paraît plus que limité, à moins de vouloir ajouter une
déstabilisation supplémentaire à la crise sanitaire en cours.
Lancer une campagne législative serait une décision qui non seulement
ne se justifierait pas en l'absence de désaccord politique majeur au sein de la
représentation nationale, ou même de la majorité parlementaire, mais elle
aurait en outre de grandes chances d'être incomprise par l'opinion.
Toutes choses égales par ailleurs, la dissolution dite «de confort»
décidée par Chirac en 1997 a de quoi faire réfléchir ses successeurs.
Il en irait de même, de façon décuplée, pour la démission du président
de la République en vue de provoquer une présidentielle anticipée, à laquelle
participerait le démissionnaire dans l'espoir de se ressourcer. Une telle
opération courrait tous les risques d'être perçue par l'électorat comme un
geste narcissique dévastateur.
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la crise du Covid-19?
Si le quinquennat traverse une épreuve majeure et inattendue, celle-ci
n'est pas le produit d'une crise politique traditionnelle. Elle nécessite,
selon le mot de Gilles Le Gendre, président du groupe LREM à l'Assemblée
nationale, une «réinitialisation», mais celle-ci doit certainement se faire
avec des outils nouveaux qu'il faudra inventer.
L'union nationale n'est probablement pas la bonne méthode, tant elle
risquerait, en laissant de côté les extrêmes, de les présenter en majesté comme
les seules oppositions possibles à l'axe central macronien, flanqué d'une aile
droite et d'une aile gauche.
Macron a probablement devant lui l'exercice le plus compliqué de son
quinquennat, qui entre dans sa dernière partie: faire en sorte que les
oppositions politiques restent les oppositions politiques tout en inventant un
système inclusif qui, sur quelques dossiers impliquant l'avenir à court terme
de la nation, intègre ces oppositions dans la réflexion de l'exécutif.
Le pari est audacieux pour le couple à la barre depuis trois ans. Il ne
l'est pas moins pour lesdites oppositions qui, elles aussi, marchent sur une
ligne de crête. On est loin de la tambouille d'un remaniement, d'une
dissolution ou d'une démission présidentielle!