lundi, juillet 30, 2018

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Edouard Husson

Edouard Husson est spécialiste d’histoire politique contemporaine, en particulier de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne. Il est professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (Université de Cergy-Pontoise). Il a été membre du cabinet de Valérie Pécresse, avant d’être vice-chancelier des universités de Paris puis directeur général d’ESCP Europe et, enfin, vice-président de l’université Paris Sciences et Lettres. Il est membre du conseil scientifique de la Fondation Charles de Gaulle. 

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Le double visage de l’affaire Benalla : celui qui a abondamment (complaisamment ?) été raconté et celui qui se joue en silence au sommet de l’Etat

Bien plus que les agissements de Monsieur Benalla, ce sont les affrontements au plus haut niveau de l'Etat qui interrogent.

Recto-verso

Publié le 

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Que peut on imaginer de la suite du quinquennat Macron ? Au-delà des suites sur l’opinion, quel impact sur l’équilibre des pouvoirs  et la capacité d’Emmanuel Macron à s’imposer à l’Etat et à ses blocages éventuels ? 

Le quinquennat exige d’un président qui voudrait être réélu qu’il s’adapte très rapidement à une nouvelle donne.
Ni Sarkozy ni Hollande n’y ont réussi. La dynamique initiale du quinquennat de Macron n’est pas encore arrêtée. Mais le Président a reçu ces derniers mois de nombreux signes quant à la nécessité de trouver des alliés, de s’appuyer sur d’autres forces que les siennes s’il veut pouvoir maintenir le cap. Le monde des journalistes a mal pris le projet de loi sur les fake news; une réconciliation avec le monde des médias est urgente; l’affaire Benalla sera soit un avertissement salutaire soit les trois coups d’une attaque des médias toujours plus systématique jusqu’en 2022. Autre exemple: Emmanuel Macron a été largement mené en bateau par Angela Merkel, qui n’a pas l’intention d’aller loin dans la réforme de la zone euro: et quand on regarde de près la politique allemande et européenne d’Emmanuel Macron, on s’aperçoit qu’il n’ a pas cherché d’alliés pour imposer son agenda; il est urgent de trouver des soutiens en Europe, en particulier pour faire pression sur l’Allemagne; il y va du projet de réforme de la zone euro et de l’UE. Autre exemple: l’affaire Benalla a été le prétexte rêvé pour l’opposition, qui se demandait commen entraver la réforme de la Constitution; il est urgent de se concerter avec les Assemblées, en particulier avec Gérard Larcher.  Et puis, il y a tout l’appareil d’Etat, qui peut devenir, s’il a le sentiment d’être peu considéré, le plus gros frein à la réussite d’Emmanuel Macron. L’Etat, en France,est une grande chose; c’est ce qui permet à notre société de s’en sortir tant bien que mal, malgré les erreurs des gouvernements successifs. Il faut prendre grand soin de l’Etat, des ministères, des services, des fonctionnaires. Non seulement ce serait de la bonne politique puisque ce serait s’attacher durablement une clientèle électorale longtemps courtisée et séduite par le PS; mais c’est indispensable pour la mise en oeuvre des réformes. 

Le président de la République a fait allusion aux rumeurs sur sa vie privée qui ont accompagné la sortie de l’affaire. À la différence de la manière beaucoup plus méandreuse dont elles se développent d’ordinaire, ces rumeurs se sont diffusées très soudainement et très largement. Quelqu’un aurait-il appuyé sur le bouton ? Et envoyé une sorte d’avertissement à blanc avec des rumeurs facilement démontables. Cette fois-ci. 



C’est l’aspect le plus curieux de cette dernière semaine.  Au-delà du comportement de Vincent Crase et d’Alexandre Benalla, on a entendu une petite musique de fond, alimentée ou confortée  par telle ou telle petite phrase journalistique. Et le président lui-même a jugé bon d’y faire allusion. Mais rien de tout cela n’intéresse les Français. Emmanuel Macron ne devrait pas tomber dans le piège où sont tombés avant lui ses deux prédécesseurs. Nous ne sommes pas aux Etats-Unis, la vie privée des chefs de l:’Etat n’intéresse pas les Français.
Nicolas Sarkozy a beaucoup trop étalé sa vie privée. François Hollande a été victime du fait qu’il avait affiché largement sa compagne, le temps d’une élection, et l’avait installée à l’Elysée puis qu’on lui a découvert une liaison parallèle. Nos hommes politiques ne semblent pas avoir compris qu’à partir du moment où le mariage traditionnel n’est plus le modèle dominant, il faut cesser de pratiquer les codes d’avant. Evidemment le pouvoir est lourd à porter, les chefs d’Etat ou de gouvernement ont besoin de soutien affectif; ils ont forcément une vie privée. Mais il faut que tout cela reste privé, encore plus qu’avant. La mode des « premières dames », lancée par Giscard pour imiter le modèle américain n’a plus aucun sens dans notre société hyperindividualiste et où le mariage pour la vie ne concerne plus qu’une minorité d’individus. Vous remarquerez qu’en même temps que l’affaire Benalla sortent des articles sur le budget alloué à Brigitte Macron. Emmanuel Macron est pris dans une contradiction: l’époque réclame qu’un président apparaisse désormais seul, quelle que soit sa vie privée; or lui-même a choisi de mettre en avant son couple. Donc comme pour Nicolas Sarkozy et François Hollande avant lui, l’esprit du temps va avoir tendance à vouloir écorner la belle histoire qu’on lui raconte, quitte à lancer des rumeurs de caniveau. L’une des leçons que le Président pourrait tirer de l’affaire Benalla, c’est de mettre en oeuvre, désormais, une séparation absolue entre sa vie publique et sa vie privée.  C’est quelque chose qu’Angela Merkel a compris dès son arrivée à la Chancellerie et à laquelle elle s’est tenue. Quasiment personne ne connaît le (deuxième) mari de la Chancelière, que Nicolas Sarkozy avait un jour appelé par erreur “Monsieur Merkel” et qui se nomme en fait Joachim Sauer. 

L’attitude assez bravache du président de la République (« qu’ils viennent me chercher », « tempête dans un verre d’eau ») a-t-elle pu aussi avoir comme objectif ou comme effet de détourner l’attention de l’autre affaire Benalla ?


Il y a le style, qui fait de plus en plus penser à Nicolas Sarkozy. Et puis il y a le fond. Emmanuel Macron a fort bien compris le message qui lui est envoyé. Il a traduit ce qui était signifié par l’affaire Benalla. Et il répond, dans les termes de l’affaire Benalla, à ceux qui lui demandent de changer sa relation avec les ministères régaliens et l’Etat. Vous remarquerez la similitude avec le limogeage de Pierre de Villiers il y a un an. Le Présisident entend faire comprendre qu’il est seul à décider, qu’il ne change pas de cap.
Il réaffirme sa vision de la fonction présidentielle, qui n’est pas celle d’un « président normal » mais d’un « hyperprésident ». De même que VGE a profondément inspiré la politique de ses deux successeurs, François Mitterrand et Jacques Chirac, par exemple en théorisant la cohabitation, qu’eux-mêmes ont pratiquée, le quinquennat de Nicolas Sarkozy  est la matrice des deux quinquennats suivants. Même à leur corps défendant, François Hollande et Emmanuel Macron lui empruntent énormément. Le message de Macron est en l’occurrence simple, trop simple: vous pensez pouvoir mettre en question mon autorité et mes prérogatives? Eh bien, je ne changerai rien! Ce qui est curieux, c’est qu’il y aurait eu une autre façon, mitterrandienne, de faire. Elle aurait consisté à réagir très rapidement, dès la sortie de l’affaire, et à demander à Gérard Collomb de démissionner, avant même qu’il soit convoqué par une commission parlementaire. En faisant ainsi, le Président aurait eu recours au plus vieux procédé politique du monde, le sacrifice d’un bouc émissaire, mais c’est le plus efficace: cela lui aurait permis de se réconcilier avec le Ministère de l’Intérieur. L’efficacité symbolique aurait été d’autant plus forte que Gérard Collomb est l’un de ses plus anciens soutiens politiques. Il aurait sacrifié « l’un des siens » à la raison d’Etat et renforcé son pouvoir. Au lieu de cela, on va rester dans la conforontation entre « les hommes du Président » et l’appareil d’Etat. 
Alexandre Benalla a expliqué qu’Emmanuel Macron lui avait dans un premier temps maintenu sa confiance (tout en soulignant la faute grave dont il s’était rendu coupable). Il a aussi affirmé qu’on s’en était pris à lui car son profil atypique tranchait avec celui des collaborateurs habituels des présidents. Au regard des éléments qui ont émergé sur la gestion de la sanction imposée à M. Benalla ou des éléments de langage de M. Benalla d’une part et de l’Elysée d’autre part, le lien entre Emmanuel Macron et M. Benalla paraissent ils vraiment rompus ?
L’interview au Monde et celle donnée à TF1 font partie de la logique de défi que nous décrivions à l’instant. Emmanuel Macron n’entend rien céder. Et il est bien évident que les éléments de langage utilisés par Benalla ont été soigneusement préparés, avec des professionnels de la communication. Encore une fois, la ressemblance avec Nicolas Sarkozy est frappante. Au lieu d’apaiser, Emmanuel Macron, directement ou indirectement, accepte la confrontation et même jette de l’huile sur le feu. Liasser souligner par Benalla qu’il n’est pas issu des grandes écoles, qu’il s’est fait tout seul, c’est astucieux car c’est une des armes les plus puissantes à jouer: il est bien vrai qu’il y a un immense problème d’intégration dans notre société. Alexandre Benalla apporte la preuve que le Président est prêt à casser les codes pour faire monter des jeunes issus des quartiers. Au besoin contre l’establishment. L’ennui, c’est que ce type d’argumentation vient à contretemps: elle n’est pas propre à apaiser les relations avec le Ministère de l’Intérieur. Nicolas Sarkozy, lui aussi, aimait alimenter la confrontation en pensant qu’il récupérerait la mise. Mais ce qui est vrai d’une phase de conquête du pouvoir l’est-il encore lorsque l’on exerce ce même pouvoir? A ce jeu, Sarkozy a raté son quinquennat. 

Que peut on imaginer de la suite du quinquennat Macron ? Au-delà des suites sur l’opinion, quel impact sur l’équilibre des pouvoirs  et la capacité d’Emmanuel Macron à s’imposer à l’Etat et à ses blocages éventuels ? 


Le quinquennat exige d’un président qui voudrait être réélu qu’il s’adapte très rapidement à une nouvelle donne.
Ni Sarkozy ni Hollande n’y ont réussi. La dynamique initiale du quinquennat de Macron n’est pas encore arrêtée. Mais le Président a reçu ces derniers mois de nombreux signes quant à la nécessité de trouver des alliés, de s’appuyer sur d’autres forces que les siennes s’il veut pouvoir maintenir le cap. Le monde des journalistes a mal pris le projet de loi sur les fake news; une réconciliation avec le monde des médias est urgente; l’affaire Benalla sera soit un avertissement salutaire soit les trois coups d’une attaque des médias toujours plus systématique jusqu’en 2022. Autre exemple: Emmanuel Macron a été largement mené en bateau par Angela Merkel, qui n’a pas l’intention d’aller loin dans la réforme de la zone euro: et quand on regarde de près la politique allemande et européenne d’Emmanuel Macron, on s’aperçoit qu’il n’ a pas cherché d’alliés pour imposer son agenda; il est urgent de trouver des soutiens en Europe, en particulier pour faire pression sur l’Allemagne; il y va du projet de réforme de la zone euro et de l’UE. Autre exemple: l’affaire Benalla a été le prétexte rêvé pour l’opposition, qui se demandait commen entraver la réforme de la Constitution; il est urgent de se concerter avec les Assemblées, en particulier avec Gérard Larcher.  Et puis, il y a tout l’appareil d’Etat, qui peut devenir, s’il a le sentiment d’être peu considéré, le plus gros frein à la réussite d’Emmanuel Macron. L’Etat, en France,est une grande chose; c’est ce qui permet à notre société de s’en sortir tant bien que mal, malgré les erreurs des gouvernements successifs. Il faut prendre grand soin de l’Etat, des ministères, des services, des fonctionnaires. Non seulement ce serait de la bonne politique puisque ce serait s’attacher durablement une clientèle électorale longtemps courtisée et séduite par le PS; mais c’est indispensable pour la mise en oeuvre des réformes.