samedi, avril 13, 2019

Michel Schneider. « Gouverner c’est dire ce qui est possible » © Le Télégramme https://www.letelegramme.fr/france/michel-schneider-gouverner-c-est-dire-ce-qui-est-possible-13-04-2019-12258172.php#PLPuYRXdmJbxgA0G.99


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« La France est devenue une société auto-immune où certaines catégories sociales s’en prennent à d’autres, détruisant l’équilibre de l’organisme », avance le psychanalyste Michel Schneider.Psychanalyste, chroniqueur au Point, auteur de « Big Mother », « Miroirs des princes » ou encore « Marilyn, dernières séances », Michel Schneider, analyste décapant de la politique, est le premier à avoir dénoncé, dans le JDD, la toute-puissance des gilets jaunes dont les défilés du samedi sont devenus un rituel. 
C’était courageux de se lever contre le mouvement dès le mois de décembre !

À l’époque, la quasi-totalité de la classe médiatique et intellectuelle était à l’unisson dans cette concurrence victimaire qui fait que dans l’imaginaire des gens, la bonne place n’est plus d’être acteur, de prendre en main son destin mais au contraire d’être une victime et d’en accuser l’État. Il fallait vraiment chercher les voix discordantes qui exprimaient la stérilité du mouvement, son incapacité à formuler des mots d’ordre cohérents. Umberto Eco, parlant du Mouvement 5 étoiles en Italie, a évoqué une « conjuration des imbéciles ».
« Ce qui dicte ce qu’on doit faire, c’est l’intérêt général, pas la somme des intérêts particuliers ».

Finalement, les gilets jaunes ont-ils fait aimer a contrario la démocratie représentative ?

Les formes prises par ce mouvement et sa nature antidémocratique sont inquiétantes. Pourquoi choisir les Champs-Élysées comme lieu de manifestation ? C’est trop facile de dire que c’est la province contre Paris et que tout est de la faute du gouvernement. C’est la haine de Paris. Ils vont dans les beaux quartiers pour salir la Ville Lumière qui leur échappe. Car, dans tous les discours sur les gilets jaunes, on parle des Français mais pas de la France. Qui osera dire comme de Gaulle : je m’adresse au pays et au bien public. Ce qui dicte ce qu’on doit faire, c’est l’intérêt général, pas la somme des intérêts particuliers. J’aimerais que le pouvoir dise : je vous entends mais entendez ce que moi j’ai à proposer dans le sens de l’intérêt général. Aidez-moi (et non pas aimez-moi) à construire la France.

D’autres que vous, comme l’acteur François Berléand, ont osé s’exprimer en contre…

Un type de la République en Marche lui a répondu : « Mais qu’est-ce que gagne Monsieur Berléand ? » J’ai envie de dire mais qu’est-ce que c’est que cette haine des riches qui commence très tôt et interdit la parole à ceux qui gagnent deux fois le Smic ? Il y a des cas scandaleux, comme celui de Carlos Ghosn, mais personne ne dit que les élites, certes pas toutes, ont peut-être mérité leur place par leur travail, leur talent, voir leur génie. Dans les autres pays, ce n’est pas mal de gagner de l’argent. J’ai longtemps travaillé aux Nations Unies, à New York. L’immigré pakistanais, quand il arrivait et voyait une grosse bagnole, il avait envie de se la payer ou que ses enfants le puissent. Pas de la rayer.
« Les chaînes d’info (…) ont jeté de l’huile sur le feu ».

Les médias ont-ils amplifié le phénomène ?

Les chaînes d’info ont voulu faire de l’audience. Ce sont des chaînes de pub en discontinu. Elles ont jeté de l’huile sur le feu. 50 000 personnes se sont imposées à 66 millions de Français. Mitterrand, lui, au moins, avait eu 1 million de personnes dans la rue sur l’école privée. On a fait croire un soulèvement populaire en faisant co-présenter les infos par un présentateur et un gilet jaune. Bien que sa génération soit très sensible aux réseaux sociaux et à la communication, Macron a sous-estimé les résonances du mouvement dans l’opinion. Le président a lâché trop et tard. Il aurait dû instaurer, pour 2019, une taxe exceptionnelle sur les très hauts revenus.

L’histoire de la Révolution française est-elle toujours prégnante ?

Il y a un fantasme révolutionnaire avec un mythe dont on oublie les excès et le fait qu’il a fallu ensuite l’énergie de Napoléon pour remettre le pays sur pied. Cet hiver, on voulait marcher sur l’Élysée comme naguère sur Versailles pour ramener le boulanger (Louis XVI), la boulangère (Marie-Antoinette) et le petit mitron censés accaparer le magot.
« La différence entre 1968 et ce qui s’est passé durant l’hiver 2018-2019, c’est le développement de la société de consommation ».

Avec le recul, comment définiriez-vous ce mouvement des gilets jaunes ?

Comme celui d’un narcissisme blessé mais c’est un mouvement anomique, sans représentation de normes partagées. Quand on leur a donné l’occasion de venir débattre, ils ne sont pas venus. Sans doute parce qu’ils étaient trop peu formés et informés pour affronter un débat public et la loi de la majorité. C’est plus facile de parler entre soi, de penser qu’on a raison en étant les moins nombreux. Il faut avoir un peu le sens du réel quand on revendique.

Était-ce un nouveau mai 68 ?

La différence entre 1968 et ce qui s’est passé durant l’hiver 2018-2019, c’est le développement de la société de consommation. Les émeutiers s’en sont pris aux symboles du commerce. La France est devenue une société auto-immune où certaines catégories sociales s’en prennent à d’autres, détruisant l’équilibre de l’organisme.

Les gilets jaunes auraient-ils pu prendre le pouvoir ?

Les faibles ne prennent jamais le pouvoir. Ce sont les plus forts au nom des faibles même s’il y a des minorités agissantes qui arrivent à le faire. Mais pour en sortir, il faudrait que Macron ait le courage de dire aux Français que gouverner c’est choisir et dire ce qui est possible et à quelle vitesse.

samedi, avril 06, 2019


https://www.lexpress.fr/culture/ces-injustices-que-les-gilets-jaunes-ignorent_2068156.html

Ces injustices que les gilets jaunes ignorent"

publié le 
 
Alain Bentolila, essayiste et linguiste.
 
G. KLEIN/SDP

Le linguiste Alain Bentolila, auteur de nombreux essais à succès, s'inquiète des cécités des gilets jaunes quant aux vraies iniquités.

Trois obsessions rassemblent les "gilets jaunes", qui hantent semaine après semaine nos villes : la jouissanceimmédiate et légitime de tous les avantages matériels dont ils se sentent chacun injustement spoliés ; la suppression sans retard de toutes les contraintes sociales et administratives qui entravent leurs vies personnelle et enfin une méfiance systématique envers tout ce qui de près ou de loin ressemble à une argumentation, à une démonstration et à une autorité intellectuelle ou morale. 
Leurs désirs, à la fois attisés et interdits, les ont emmenés à confondre plaisir (j'aimerais tant... !) et frustration (pour quoi lui et pas moi... ?). Leur refus absolu de toute astreinte, les amène à confondre règle et abus de pouvoir. La défiance qu'ils portent à l'histoire, à la science et à la culture fait du passé table rase et du futur une croyance. Ce que nous montre le mouvement des gilets jaunes c'est la victoire de la ponctualité sur la profondeur, celle de la répétition sur l'originalité, celle de la simplification sur la complexité. C'est une défaite de la pensée. 

Le destin scolaire, iniquité suprême

Ceux qui mènent ce soulèvement ont oublié que l'essentiel ce ne sera pas ce qu'ils posséderont de plus à la fin de "l'histoire". L'essentiel, c'est ce que sera le destin de ceux qui leur survivront. Plutôt que de dresser la liste hétéroclite des changements qu'ils appellent à revendiquer samedi après samedi, ils devrait tenter d'identifier les mutations éducatives, sociales et culturelles qui permettraient de faire de tous les enfants de ce pays des êtres de pensée libre et de parole justecapables d'autant de compréhension que de proposition.  
Mais, dans leurs manifestations, banalement répétées, pas un mot sur l'éducation et sur la culture ! Pas un mot sur la résistance intellectuelle des jeunes à la manipulation et aux mensonges ! Persuadés que la pire injustice est de n'avoir pas ce qu'un autre possède, ils en oublient que l'iniquité suprême c'est aujourd'hui que le destin scolaire, culturel et social de trop d'enfants -souvent les leurs - soit scellé dès six ans parce qu'ils sont nés du mauvais côté du périphérique ou, pire encore, dans des friches rurales. 
Ces enfants là ne portent pas de gilets jaunes ; ils sont invisibles, condamnés à errer durant plus de quinze années dans le long couloir de l'échec. Lorsqu'ils sortent de ce couloir où ils n'ont appris que la frustration, la rancune et le repliement, ils sont promis au ghetto et à la vulnérabilité intellectuelle. Ils sont alors contraints de renoncer à exercer ce pouvoir propre à l'humain de transformer, quelque peu que ce soit, les autres et le monde par l'exercice pacifique de la langue orale ou écrite.  
Plus ils avancent dans ce couloir, plus se font rares les portes de sortie, plus s'affirme la conscience de l'échec, plus lourd pèse un découragement qui engendrera la révolte et la violence. Ils sont les oubliés d'une triste "révolution" qui agrège les égoïsmes adultes. Tout à leur impatience d'avoir plus et de consentir moins, les gilets jaunes perdent ainsi de vue ceux qui arrivent derrière eux. Pris dans un tourbillon de dénonciations, obsédés par la recherche de boucs émissaires, possédés par le désir d'être enfin vus et entendus, ils négligent la seule chose qui devrait compter pour eux : imposer que soient mises en place les conditions d'un épanouissement intellectuel, culturel et moral de leurs enfants afin qu'ils aient une chance de construire un monde un peu meilleur que celui que leurs parents leur auront laissé. 
Certains me répondront que les gilets jaunes se battent justement pour que l'avenir de nos enfants soit meilleur... Illusion ! Ce n'est pas un combat social auquel appellent leurs leaders ; c'est une "effervescence", une "exaspération", une "indignation" qu'ils provoquent ; nourries de convoitises, de frustrations singulières et de jalousies intestines.  

Un mouvement désespéré

C'est pourquoi ce mouvement est désespéré. C'est pourquoi il attire si peu les jeunes sauf ceux qui espèrent désespérément laisser, par la violence, une trace "sale" sur le monde. C'est pourquoi il draine les pires penchants xénophobes, racistes et sexistes. C'est pourquoi les "indignés" autocentrés qui s'y accrochent iront vers encore plus de frustrations, plus de déceptions et plus de rancoeurs. S'ils s'éteignent-quand ils s'éteindront- ce sera dans l'aigreur et le ressentiment, révélant un néant spirituel, un vide culturel et une incapacité de penser d'abord aux destins de ceux qui les suivent.  
Ne cherchons pas ailleurs qu'en nous mêmes les responsables de ce qui aurait pu être un espoir et qui est devenu une décadence. Nous sommes devenus des gilets jaunes parce que nous avons succombé à notre peur égoïste de regarder plus loin que nous. C'est cette terreur qui a engendré notre lâcheté intellectuelle et morale ; rendu nos esprits si faibles, incapables de questionnement et d'argumentation. Nous sommes tous coupables d'avoir négligé notre premier devoir : transmettre à nos enfants le bonheur de comprendre et de se faire comprendre. 
Nous avons renoncé à cultiver notre intelligence commune comme on cultive un champ pour nourrir les siens. Oubliés le raisonnement rigoureux, la réfutation exigeante ; toutes activités tenues aujourd'hui pour ringardes et terriblement ennuyeuses, remplacées par la réaction immédiate et l'éructation imprécise. Ces foules hébétées et haineuses sur le Net comme dans les rues cherchent à nous tromper en dénonçant la diversité culturelle et religieuse comme ce qui menace notre cohésion sociale. En réalité, c'est la délétion de notre intelligence collective et de notre langue commune qui nous a rendus incapables d'analyser nos différences, de les reconnaître et d'en parler. C'est elle qui, aujourd'hui, sur les réseaux sociaux et dans la rue, conduit ceux qui se proclament abusivement le "peuple" vers le racisme haineux, vers la tentation du fascisme..., vers le renoncement à ce qui fait de nous des Hommes. 
Tous, risquons de voir un jour les mémoires vides de nos propres enfants errer sans but dans un désert culturel attirées par le reflet du premier écran, convaincu par le premier mot d'ordre. Nous aurons alors perdu la dernière bataille. Nous l'aurons perdue en jaune, comme d'autres l'ont perdue en rouge ou en noir, comme à chaque fois que nous avons renoncé à cultiver l'intelligence et la culture.